MATHIEU

 

Mathieu avait une trentaine d'année et vivait seul. Il était maigre comme un échalas et un peu bébête.
Il n'avait que peu de ressources et vivait surtout de menus travaux que les gens lui commandaient au village ou dans les mas.
On lui donnait quelque argent pour fendre le bois, ranger les bûches, curer les gourgues. Le maire l'employait de temps en temps, lorsque les pluies d'automne ou de printemps avaient démoli les murs et creusé les chemins..
Mathieu savait presque tout faire, il n'était pas fainéant, il était resté simplement infantile. On pouvait lui faire avaler n'importe quoi, surtout au bistrot, après trois ou quatre pastis. Cette dose d'alcool suffisait amplement à lui faire perdre le peu de jugeote qui lui restait.
Or, justement, un soir de Juillet, le brave Mathieu se retrouva au bistrot, attablé avec un trio peu recommandable. Il y avait là le Noir, ainsi appelé pour son teint plus que basané. Il y avait le Jules et le Bécasse. Le Bécasse était un roublard fieffé doté d'un air idiot... C'était pas des enfants de Marie, et malveillants et méchants avec ça. Des teignes.
La Tistine qui apportait le pastis avait beau tendre l'oreille, les trois escogriffes chuchotaient dans leurs babines, tout en s'entourant d'un nuage de vapeur de tabac à couper au couteau, comme les rideaux de fumée dont s'entourent les destroyers avant de lancer leurs attaques à la torpille !!
Le Mathieu était bien coincé.
Le trio, qui avait du bien calculer son coup, amorça une discussion anodine sur les vertus de la vie champêtre et bucolique.

"Ah ! moi, disait le Noir, en clignant des yeux à toute allure, je préfère aller à la chasse que de faire la pétanque...."

".... ou la belote, renchérit le Jules, c'est plus sain, on respire. Je me languis que la chasse ouvre en septembre. Mon chien s'ennuie, et moi aussi."

Le Bécasse hocha la tête.

"L'automne, c'est intéressant ! La chasse, les champignons... Il ne fait pas trop chaud et les serres sentent bon... Même à l'espère, on est bien, on n'a pas froid !!"

"Oh ! même à l'espère ! Tu as raison, Bécasse, répondit le Noir, qui appuyait bien sur le mot espère. L'espère, c'est intéressant, j'aime bien chasser à l'espère..(1)"

Le Mathieu, qui engouffrait son troisième pastis, asquiesça avec enthousiasme.

"Vous avez bien raison. On est mieux à la chasse que devant la télé. L'an dernier, j'ai pas pris mon permis, j'avais pas de sous !! Mais cette année, c'est pas pareil. J'aimerais bien le reprendre, seulement je ne sais pas où faire mon espère.."

Le Bécasse avait senti la touche. Le poisson mordait bien, on le sentait engamer.. Mais il fallait lui donner du mou pour qu'il avale bien tout : l'appât, le hameçon, et un bout de fil même, si possible !!

 

(1) Espère : abri de chasse.

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(Extrait de "Les Contes du Piquetache" - Mathieu)

Copyright Alain Gurly - 2005