LA MOTO


Au dessus de la piste et au dessous s'entassait le remblai que les engins de terrassement avaient rejeté de part et d'autre, lors du tracé. Ce remblai, composé surtout de terre fine caillouteuse, recelait, ça et là, de gros blocs erratiques, posés en équilibre sur la pente.
Le PiqueTache s'était juché sur l'un deux. Il était assis là, accroupi sur son énorme derrière, grisâtre et velu comme un singe. Sa casquette de laine grise lui descendait au ras des sourcils, laissant à peine filtrer au dessous un regard vitreux et absent, au travers des deux minces fentes de ses paupières. Il ruminait une longue tige de graminée sauvage qu'il avait cueillie à ses côtés. Le PiqueTache ne faisait pas un mouvement au plein soleil du mois de Mai qui resplendissait sur le serre. Il s'était matérialisé sur cette pierre come s'il sortait du néant, au premier passage de la moto...
Son visage, dévoré par une barbe grisâtre et touffue, restait impassible. Il ne paraissait pas entendre le rugissement du moteur de l'engin, qui, ayant commencé le second tour, se rapprochait vertigineusement du virage où le PiqueTache avait élu domicile....

Entre le premier et le deuxième tour de l'engin, profitant du silence momentanément revenu, une mésange avait entonné un long "Pit ! Pit !" sur une branche d'arbousier, à quelques dizaines de mètres en contrebas de la piste. Mais, comme le bolide rugissant arrivait sur la piste cahoteuse, sautant d'une ornière à l'autre en de violentes embardées que Jo maîtrisait avec une habileté diabolique, l'oiseau se tut.

L'engin passa comme un éclair nickelé en soulevant un nuage de poussière. Le nuage flotta un bon moment, tandis que les particules de terre tournaient dans le soleil, recouvrant le PiqueTache d'une couche ocre, qui se déposa lentement sur la masse grise et râblée du vieil homme.

Mais celui ci ne bougea pas d'une semelle.

Pourtant, au passage de la moto rugissante, le bloc de pierre sur lequel perchait le PiqueTache avait bougé imperceptiblement. Une secousse infime l'avait agité une parcelle d'instant. Le PiqueTache perçut ce frémissement du bloc. Il se leva sans hâte et fit quelques pas pour s'asseoir sur un autre blc de rocher, moins imposant. Il s'installa du mieux qu'il put, à son étrange manière, recroquevillé et tellement tassé contre la montagne qu'on aurait dit qu'il y prenait racine....

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(Extrait de "Les Contes du PiqueTache" - La Moto)

 

Copyright Alain Gurly - 2005